Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ARMATURA LEVIS

ARMATURA LEVIS. Infanterie légère des Romains. Au début de l'organisation de la légion [LEGIO], les hastats qui combattaient en première ligne faisaient au besoin le service de troupes légères : les princes formaient alors le corps de bataille et les triaires la réserve. Plus tard, on créa un corps de soldats armés à la légère, leves milites, et les hastats ne combattirent plus qu'en ligne. Tite-Live, parlant de ces derniers, dit ceci t : «A chaque manipule étaient joints vingt soldats armés à la légère On appelait soldats armés à la légère (leves milites), ceux qui n'étaient armés que d'une hasta et d'une gaesa. » La gaesa était un javelot d'origine gauloise'-. En même temps, on vit figurer dans la légion d'autres soldats armés à la légère et qu'on appelait rorarii. Selon Varron ceux-ci tiraient leur nom du mot ros (rosée, petite pluie), parce que, de même qu'une petite pluie précède une averse, de même ils escarmouchaient au début de la bataille en lançant sur l'ennemi des traits plus petits que ceux des troupes de ligne. Dans le même chapitre, Tite-Live dit que « les rorarii, plus jeunes et moins aguerris que les triaires, étaient placés derrière ceux-ci ; » puis, dans le chapitre suivant où il continue la relation d'un combat, il ajoute que « les rorarii s'élançant dans les intervalles des rangs de ceux qui étaient devant eux, vinrent renforcer les princes et les hastats. » Nous devons en conclure qu'après avoir entamé l'action, les rorarii venaient se rallier derrière les triaires, c'est-à-dire derrière l'armée, ce qui est vraisemblable. Derrière les rorarii se plaçaient les accensi. Dans le récit de combat dont il vient d'être question, Tite-Live dit que chaque manipule de triaires se divisait en trois parties, et que la première se composait des triaires proprement dits, la seconde des rorarii, et la troisième des accensi; puis il ajoute que le tout comprenait cent quatre-vingts soldats : or, le nombre des triaires étant invariablement fixé à soixante hommes par manipule, nous pouvons conclure de ce qui précède, qu'il y avait dans la légion six cents rorarii et six cents accensi. Le même auteur' raconte qu'au siége de Capoue, en l'an 542 de Rome, Q. Naevius voyant que la cavalerie campanienne l'emportait toujours sur celle des Romains, employa le moyen suivant pour détruire cette supériorité. Il choisit parmi les légionnaires les jeunes gens les plus lestes en même temps que les plus vigoureux, et les arma d'un bouclier léger ainsi que de sept javelots de quatre pieds de longueur, « dont la pointe était semblable à celle des hastes appelées vélitaires. » Puis il les habitua à monter en croupe derrière un cavalier et à sauter vivement à terre au moment où l'on abordait l'ennemi ; cette manoeuvre réussit parfaitement, puisque la cavalerie campanienne, accablée par une grande quantité de traits, fut battue dès le premier engagement. On fut tellement sa ARM 434 ARA tisfait de ce résultat, qu'on se décida à organiser des vélites dans chacune des légions. Le récit de Tite-Live est confirmé par Frontin et par Valère-Maxime 0. Polybe' nous apprend qu'on choisissait les citoyens les plus jeunes et les plus pauvres pour en former le corps des vélites ; puis, après avoir dit qu'il y avait dans chaque légion 600 triaires, 1,200princes et 1,200 hastats, il ajoute que le reste de l'infanterie se composait de vélites ; or, comme dans le chapitre précédent il a écrit cette phrase : « On choisit ensuite les cavaliers pour les joindre aux quatre mille deux cents fantassins, » et comme il y avait trois mille hastats, princes ou triaires, nous pouvons en conclure qu'il y avait habituellement, de son temps, 1,200 vélites dans chaque légion. Il décrit ensuite l'armement de ces derniers : « Les plus jeunes doivent avoir une épée, des hastes légères, ainsi qu'une puma (bouclier) de structure solide et assez grande pour les protéger ; elle est de forme ronde et a trois pieds de diamètre. Leur tête est couverte d'un casque uni, sur lequel on place une peau de loup ou quelque autre chose de ce genre qui, tout en les protégeant, constitue une marque particulière qui permet à leurs chefs de distinguer ceux qui se conduisent bien ou mal dans les combats. La haste des vélites a généralement la hampe longue de deux coudées et grosse comme le doigt : le fer est long d'une palme et tellement mince et effilé que, dès le premier coup, il plie et les ennemis ne peuvent renvoyer la haste ; si celle-ci n'était pas construite ainsi, l'ennemi pourrait s'en servir. » Tite Lire' indique le même armement. Enfin, Polybe dit" que les vélites n'avaient ni centurions, ni porte-enseignes : il dit en outre que les différents corps, excepté celui des vélites, étaient partagés en dix manipules, et que Ies vélites étaient répartis en nombre égal entre tous ces manipules ; ils formaient trente pelotons, comprenant chacun quarante hommes. Ce fractionnement, plus considérable que celui des autres corps de troupes, s'explique par la nature même du service de détail qui leur était confié. Ce que nous venons de dire est confirmé par le passage suivant du même auteur H : «Le manipule comprend plus de cent hommes, excepté chez les triaires et les vélites, » Ces derniers remplacèrent les rorarii, mais ils ne furent pas comme eux, rangés derrière les triaires ; Polybe nous donne à ce sujets' des détails assez complets, et nous apprend en même temps de quelle manière ils combattaient, habituellement. On remplissait les intervalles des manipules du premier rang (hastats), de vélites qui étaient chargés d'engager le combat ; quand ils étaient repoussés, les plus lestes se retiraient sur les derrières de l'armée en passant par les intervalles des manipules des trois lignes, et ceux qui étaient serrés de trop près, se groupaient sur les côtés de ces mêmes manipules. Tite-Live 7I donne les mêmes détails. Les vélites n'étaient placés entre les manipules des hastats qu'au moment où l'armée se rangeait en bataille, et ils n'y restaient que jusqu'à ce qu'elle fût arrivée près de l'ennemi : ils se déployaient alors en avant n. Dans le Commentaire sur la guerre d'Afrique 13 on voit, d'après le même principe, le front d'une armée cou vert par des archers. Quant à la manoeuvre combinée avec la cavalerie, qui avait si bien réussi devant Capoue, elle ne pouvait être employée que lorsqu'on avait à exécuter un coup de main, ou à combattre une cavalerie nombreuse ; on y eut souvent recours dans des circonstances analogues, et elle resta encore en usage après la suppression des vélites. Jules César ts ayant remarqué qu'un corps de six mille cavaliers germains était soutenu par un pareil nombre de fantassins agiles qui le suivaient dans tous ses mouvements, choisit dans son infanterie légionnaire les soldats les plus lestes et les plus jeunes, et les exerça au même genre de combat ; dans plusieurs circonstances il dut la victoire à l'emploi de cette manoeuvre. On a cru généralement que les fantassins dont il est question combattaient pêle-mêle avec les cavaliers, mais cela n'était pas possible à cause de l'espace qui était nécessaire à chacun d'eux pour le maniement des armes de jet dont ils faisaient usage : l'étude attentive du récit des guerres de Jules César nous a confirmé dans cette opinion. Dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules 18 il dit, en parlant du corps mixte organisé par Arioviste, que les cavaliers, dès qu'ils étaient repoussés, se repliaient vers l'infanterie qui se hâtait d'accourir pour les protéger. De plus, dans le même ouvrage'', il raconte qu'il fit partir « d'abord sa cavalerie, dans les intervalles de laquelle il plaça des auxiliaires armés à la légère ; » il dit plus loin 20 : « Les nôtres arrivèrent sur ce point, rangés en turmes ; » et encore 21 : « Une masse considérable d'infanterie força les nôtres à reculer ; l'infanterie légère se porta rapidement à leur secours, et, se plaçant entre les turmes, commença à combattre avec énergie. » Enfin, dans le Commentaire sur la guerre d'Afrique22, Hirtius donne la relation d'un combat avec des détails précis et qui détruisent tous les doutes qu'on pourrait conserver sur cette question. Après avoir raconté que Labiénus mit en ligne sa cavalerie entremêlée de Numides armés à la légère et d'archers à pied, il dit que cette cavalerie se déploya pour envelopper celle de César : « Celle-ci avait beaucoup de peine à se maintenir contre une si grande multitude. Déjà les deux lignes se mettaient en mouvement pour en venir aux mains, lorsqu'on vit les turmes serrer leurs rangs, puis l'infanterie légère des Numides, passant à travers les intervalles, s'élancer en même temps que les cavaliers en lançant leurs traits sur nos légions. Quand les soldats de Jules César les chargeaient, les cavaliers prenaient la fuite, et l'infanterie tenait ferme ,jusqu'à ce que la cavalerie vînt, par une nouvelle charge. lui porter secours. » Polybe, dans sa description du camp romain, parle peu des vélites ; il se borne à dire 23 : « Les vélites, qui veillent pendant le jour sur les retranchements, garnissent toutes les faces... dix d'entre eux montent la garde à chaque entrée. » Les vélites, remplissant seuls le rôle réservé à l'infanterie légère, étaient employés dans toutes les petites opérations de la guerre, ainsi qu'aux patrouilles, reconnaissances, petits postes extérieurs, etc., et ces fonctions les appelaient souvent à sortir du camp : ils devaient donc être placés près des portes, d'autant mieux que, ARM 35 ARM destinés à éclairer la marche de l'armée, ils devaient quitter le camp avant elle. Enfin, Polybe dit u qu'on leur confiait la garde, non-seulement des entrées, mais encore de toutes les faces du retranchement : il était naturel qu'iI en fût ainsi, puisque, en cas d'attaque inopinée, les vélites qui n'avaient pas à revêtir une armure, devaient être les premiers prêts à la défense. Toutes ces considérations nous font croire qu'ils campaient dans cet espace de deux cents pieds qui se trouvait entre les tentes de l'armée et le retranchement, et que, dans les places fortes modernes, on appelle chemin de ronde 20 Nous croyons aussi que, dans les camps où l'armée ne faisait pas un séjour prolongé, les vélites bivouaquaient, ce qui semble rationnel quand on songe au rôle qui leur était confié. Nous avons été confirmé dans cette opinion en remarquant que Polybe ne fait aucune mention à ce sujet et, de plus, qu'il dit qu'un trait lancé par l'ennemi au delà des retranchements ne pouvait atteindre une tente qu'à deux cents pieds de ces derniers, c'est-à-dire au delà du chemin de ronde. Les vélites n'ayant pas de tentes et peu ou point de bagages, n'avaient pas de bêtes de somme : de plus, ils fournissaient de nornbreux détachements pour la garde des portes, les patrouilles, etc. ; il en résultait qu'ils devaient occuper un espace beaucoup plus restreint que celui qu'on accordait aux troupes de ligne, et leur présence dans le chemin de ronde ne devait pas gêner la circulation, ni empêcher d'y placer le butin et le troupeau. Lorsque Marius réorganisa l'armée, il fit entrer tous les citoyens romains dans l'infanterie de ligne et supprima les vélites ; le service de ces derniers fut confié aux contingents des nations qui se trouvaient alors sous la domination romaine, et dont l'adresse ou l'agilité étaient célèbres : tels étaient les Crétois, les Numides, etc. L'infanterie légère de Jules César et de Pompée" était principalement composée d'étrangers. Différents auteurs ont quelquefois désigné tous les corps d'infanterie légère par le mot ferentarii, dont l'emploi remontait aux premiers temps de la nation romaine 27, et dont l'origine n'a pas été exactement déterminée. On suppose généralement qu'il dérive du mot ferre (porter), parce que les soldats de l'infanterie légère étaient chargés de porter, pendant le combat, des armes de rechange aux soldats de l'infanterie de ligne ; c'est sans doute ainsi que le comprenait Plaute, qui aimait à employer des métaphores militaires, quand il appelait ferentarius amicus2fl un ami réel toujours disposé à rendre service, à porter secours, à donner ce dont on a besoin. L'opinion que nous émettons est corroborée par ce que dit Festus sur le même sujet : « Ferentarii, a ferendo auxilio. » Cette dénomination fut souvent remplacée par celles-ci, armatura levis29 et levia arma : mais il faut remarquer que la dernière s'appliquait seulement aux troupes auxiliaires et non pas aux vélites ; un passage de Tite-Live le prouve". Végèce appelle quelquefois les troupes légères exculcatores; Ducange, dans son Glossaire, fait dériver ce mot de culcare (coucher), qui était d'origine barbare, parce que les postes qui passaient la nuit en dehors du camp étaient fournis par ces troupes. Si cette étymologie était adoptée, elle pourrait servir à. expliquer cette autre expression employée par Ammien-Marcellin dans le même sens, proculcatores, parce que les postes dont nous venons de parler étaient placés en avant du camp, pro castras. Lorsque l'organisation si simple et si admirable de la légion fut altérée, on créa différents corps d'infanterie légère auxquels on donna des noms particuliers suivant la nature du service auquel on les consacrait ; tels furent les antecessores ou antecersores, les exploratores, les speculatores, les sagittaraï, les funditores, etc. : on arriva même à leur donner simplement les noms des nations chez lesquelles on les recrutait, Baléares, Crétois, Daces, Gètes, Bretons, Palmyréniens, etc. MASQUELEZ.